Laetitia Déchambenoit – Photographie écologique et récits du vivant


Veilleuses

post-extractivisme, montagne, photographie lente, eau



https://fr.ulule.com/veilleuses/


EN QUÊTE D’IMAGES POUR CE QUI DISPARAÎT

Veilleuses est le rêve d'une expédition photographique et poétique dans les Alpes du Sud, au cœur d’un territoire de haute montagne où l’eau se fait plus rare et où les marques du réchauffement climatique redessinent les formes du paysage.

C’est l'idée d'une traversée solitaire, lente, attentive — une marche entre les lacs, les sources et les torrents du Queyras, à la recherche de ce qui résiste : traces du vivant, empreintes d’une mémoire géologique, végétale ou humaine.

Je souhaite partir avec une chambre photographique transformée en sténopé, du papier sensible, des plantes sauvages pour fabriquer mes révélateurs, un laboratoire nomade sous tente.
Pour expérimenter une photographie artisanale, sans batterie, sans extraction, où chaque image deviendrait un geste de veille, un rituel de soin adressé à la montagne.




POURQUOI LE QUEYRAS ? ET POURQUOI MAINTENANT ?

C’est au détour d’une marche imprévue jusqu’au lac Sainte-Anne, le jour de l'Ascension (c'est comique), que quelque chose s’est noué. 
Ce n’était pas prévu, pas préparé : juste un appel intérieur, une fatigue, un besoin d’air.

Là-haut, entourée de pierres et d’éboulis, j’ai trouvé un lieu silencieux, traversé de signes
Tout ce qui m’habite — la photographie, la montagne, la fragilité du vivant, la quête de sens — s’est cristallisé comme une évidence.
Ce lac est devenu un seuil.


Ce n’était plus seulement une balade : c’était un repérage intime, une initiation discrète. 
Il m’a permis de comprendre comment je voulais marcher, regarder, cueillir, révéler. 
C’est là que Veilleuses a commencé.

Depuis, j'ai construit pas à pas un itinéraire dans ces montagnes. 
Elles ne portent pas les stigmates d’un extractivisme brutal mais elle subit des formes plus diffuses de pression : régulation hydrologique, pression touristique, réchauffement climatique, abandon de certaines pratiques agricoles...

Veilleuses serait un premier geste : l’élaboration d’un protocole d’observation et de création, sur les traces du vivant, dans un paysage en mutation, marqués par les transformations climatiques, les usages humains et les tensions écologiques contemporaines. 
Un jalon pour tirer sur le fil rouge de ma démarche qui tâtonne, une recherche pour déployer mes observations et des productions dans d'autres territoires, plus tard. 

Il ne s'agirait pas de produire des images spectaculaires de la montagne.
Mais de créer des images habitées, traversées par les conditions mêmes de leur apparition.
Des images comme des lucioles — fragiles, précaires, mais résistantes.



UNE ENQUÊTE POÉTIQUE ET ÉCOLOGIQUE

Ce travail se nourrit de mes modestes recherches personnelles en écologie politique, géographie sensible et anthropologie du vivant.

Il interroge :

  • Les mutations des milieux d’altitude : fonte des neiges, assèchement des sources, raréfaction de la biodiversité
  • La manière dont les paysages portent une mémoire latente : géologique, humaine, symbolique
  • Les formes de vie fragiles qui persistent dans les plis silencieux du territoire

J’espère arpenter ces espaces pour observer ce qui s’efface, ce qui persiste, ce qui revient.
Mais plus encore, j’aimerais interroger ce que veut dire faire image aujourd’hui, dans un monde blessé.

Que peut-on encore montrer sans participer à l’usure des formes, du monde lui-même ?

Je cherche des images faibles, fragmentaires, qui recueuillent plutôt qu’elles ne capturent.

À travers mes photographies développées à partir de plantes locales, j’espère faire apparaître une écologie de la nuance, du fragile, de l’invisible.

Et changer de paradigme : sortir de l’image comme extraction, preuve ou prélèvement, pour la penser comme geste, survivance, gardienne.
Faire apparaître de minuscules clartés dans la nuit des montagnes — non pour éclairer, mais pour accompagner.


L’EAU, RÉVÉLATRICE 


Dans La poétique de l’eau, Jean‑Philippe Pierron formule ce constat lucide : nous avons cessé de vivre l’eau. Elle est devenue un volume à contrôler, une ressource à répartir, un flux anonyme à rationaliser. Mais dans cette réduction utilitariste, nous avons perdu le lien charnel, symbolique, sensoriel qui nous reliait à elle.

Avec Veilleuses, je cherche à raviver ce lien. L’eau ne serait pas seulement présente dans les ruisseaux du Queyras : elle serait le révélateur même de mes images, cueillie sur place, mélangée aux plantes du lieu. Elle entrerait dans la matière photographique comme une mémoire vivante du territoire, lente, fluide, imprévisible.

En réapprenant à vivre l’eau — à l’écouter, à la toucher, à attendre son rythme — je tenterai un geste poétique de réparation. Car si l’eau révèle l’image, elle révèle aussi une manière d’habiter le monde autrement : non comme maître, mais comme hôte

En résumé, ce projet est à la croisée :
  • d’un geste de terrain : explorer, arpenter, veiller
  • d’un geste photographique radical : faire image sans appareil moderne, avec des plantes et de la lumière
  • d’un geste poétique : recueillir ce qui demeure, ce qui glisse, ce qui ne se montre qu’un instant
  • d’un geste politique : m’opposer aux logiques d’extraction, de profit, de vitesse, en proposant un autre rapport à l’image et au vivant.



CE QUE J'AIMERAIS FAIRE CONCRÈTEMENT



Pendant 5 jours dans le Queyras, je souhaiterais :

  • Traverser les lacs et sources d’altitude : Llacs des Cordes, Sainte-Anne, Sainte Marguerite, Miroir, Longet, Sources du Guil…
  • Photographier uniquement avec un sténopé : sans objectif, sans batterie, une seule ouverture vers la lumière
  • Fabriquer mes révélateurs à base de plantes cueillies en chemin : ortie, achillée, tanaisie, millepertuis...
  • Installer un labo mobile sous tente, à la lumière rouge, souvent en pleine nuit
  • Développer les images dans l'eau des sources, torrents, lacs de l'itinéraire
  • Tenir un carnet de terrain, collecter de l’eau, noter les espèces, les altitudes, les silences…
  • Faire le lien entre ce que je vois, ce que je sens, ce que je crains de voir disparaître.
  • Mener une enquête poétique sur ce qui résiste dans les plis silencieux du paysage, une expérience de terrain menée avec une rigueur douce, dans l’esprit d’une recherche-action artistique, un rituel de deuil et d’attention à ce qui disparaît, à ce qui persiste, à ce qui se transforme.


Je cherche à documenter moins un paysage que l’état d’un monde.
Moins des sommets, que des seuils.
Moins des réponses, que des signes.

Veilleuses n’est pas une expédition héroïque.
C’est un voyage humble, habité, fragile.
Une manière d’habiter les montagnes autrement.
De photographier autrement.
De résister, en prenant soin.
De veiller, tout simplement.

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